jeudi 5 mars 2015

L'après-midi du 15 juin 1815, la bataille de Thuin [BLACK POWDER]


Où en étais-je déjà?... J'ai dû m'assoupir. Mon grand âge... M'obligeriez-vous en aidant un vieux grognard  à se souvenir du point où était arrivé son récit? - Ah oui! Lorsque le général Bachelu m'envoya dans le désordre de nos arrières m'enquérir de notre chef de corps, le général Reille.



Je ne galopai pas, je volai littéralement à la recherche du Général, ne ménageant ni les cris ni les horions afin que fantassins et cuirassiers s'écartent pour me laisser passer.
Je compris alors combien le traquenard que nous avaient tendu les Prussiens était prêt d'anéantir la campagne avant même qu'elle n'eût commencé!



L'avant-garde du IIe corps, la division Bachelu, était bel et bien ceinturée. Certes, notre tête de pont sur la rive gauche de la Sambre paraissait encore forte à Lobbes à gauche et à Thuin à droite; mais l'ennemi couvrait la plaine et ses renforts accouraient des bois sur les hauteurs.


Tout indiquait un assaut imminent sur Thuin. 











Les chasseurs ennemis tiraillaient déjà avec nos voltigeurs devant les faubourgs.









Von Zieten avait également constitué en son centre une forte réserve afin de nous dissuader de toute velléité de contre-attaque.







Mais surtout, de l'autre côté de la vallée, les frondaisons laissaient échapper les éclats lumineux de milliers de baïonnettes, ce qui signifiait que les renforts ennemis continuaient à arriver. J'augurai que tout un corps allait tomber sur notre division!


Me frayant un chemin à travers les colonnes d'infanterie et les équipages, je ralliai Beaumont, point de départ de cette journée. Dieu! Il me semblait que des années s'étaient écoulées depuis ce matin-là! 




De loin, j'aperçus alors un état-major, dont je pris la direction. Quelle ne fut pas alors ma surprise!










Ce n'était pas le Comte Reille, mais le Prince de la Moskowa, qui venait tout juste de rallier l'aile gauche de l'armée dont l'Empereur lui avait donné le commandement la veille! Tandis que je lui donnai la situation de la division Bachelu, tout autour de lui se ressentait de l'agitation du maréchal Ney. Il était littéralement exaspéré du retard du IIe corps qui l'immobilisait de ce côté-ci de la Sambre, tandis que l'empereur lui avait donné ordre de rallier Charleroi.


Nous sûmes par la suite la cause de tout ce retard. L'Empereur avait donné l'ordre écrit au IIIe corps du Général Vandamme de franchir la frontière à trois heures du matin, afin de s'assurer au plus vite de Charleroi et de pousser les Prussiens vers Namur. Mais rien ne vint. Le général Vandamme n'arriva à Charleroi qu'à trois heures de l'après-midi, lorsqu'il eût dû y entrer en vainqueur dès dix heures du matin, si la FATALITE n'eût pas voulu que l'officier d'état-major, chargé de lui apporter cet ordre, se fût... cassé la jambe en route! Nouvelle FATALITE de la campagne, qui nous enleva les avantages que devaient nous assurer les habiles concentrations de l'Empereur. Et FATALITE plus dure encore pour la division Bachelu, puisque, ne voyant rien venir sur sa gauche, Von Zieten eut tout loisir de se reporter sur sa droite et de concentrer son corps pour nous barrer le passage! 


Ayant rempli ma mission, je repartis aussitôt prévenir mon général que le Maréchal faisait glisser sur sa droite la division de cavalerie du Ier corps du général Piré. Elle nous rejoindrait par la forêt de Jamioulx. Mais arriverait-elle jamais à temps?



Je retraversai à nouveau nos colonnes vers Lobbes où j'avais laissé la division.








Je vis alors dans la vallée l'une de ces contre-attaques que le général Bachelu s'était promis de lancer pour fixer l'ennemi, malgré notre infériorité numérique. 


Pour renforcer sa position sur Lobbes, le général renvoyait en avant deux bataillons s'assurer du cimetière. 





Un âpre corps-à-corps s'y déroula. A son issue, les morts s'entassaient plus nombreux au-dessus qu'au-dessous.











  
Une fois conquise, cette position permettait de fusiller les réserves de cavalerie prussiennes, en se ménageant un abri.

Les cavaliers prussiens étaient de toute façon gênés par le moulin de Lobbes, qui les empêchait de prendre le village à revers.







Le général Bachelu jetait chaque compagnie qui franchissait les ponts dans les villages dans l'attente de l'assaut général ennemi.

 Je vis cependant que le général avait malencontreusement envoyé toutes ses batteries vers Thuin.

Tandis que l'ennemi,  étant plus garni en canons, pouvait à tout moment déclencher un feu destructeur, dont les flammes, en se propageant, finiraient inévitablement par nous chasser des villages. 





A la batterie de la Garde déjà installée dans Thuin, le général Bachelu avait ajouté notre batterie divisionnaire.









Je compris que mon supérieur se proposait de constituer une grande batterie devant le village pour en disputer l'accès.












Le feu s'amplifia et devint de plus en plus roulant. Si l'Empereur n'était pas déjà prévenu du combat qui nous incombait, nul doute possible désormais!

















Le vacarme était assourdissant. Mais on arrivait encore à entendre les chants des troupiers partant à l'assaut. Dieu, combien il y eut de bravoure anonyme dans cette campagne!






Mais mon souvenir le plus fort de cette bataille, ce fut la charge des cuirassiers sur le centre ennemi.






Se riant de la mitraille, le Comte de Valmy entraina sa brigade sur les batteries ennemies.












Rarement dans les Guerres de l'Empire vis-je une charge si bien alignée, si silencieuse et poussée à fond.









Les Gilets de Fer ne firent aucun quartier. Et on ne vit chez les Prussiens que cette bravoure opiniâtre qui nous causa tant de malheurs après 1812.










Tout fut emporté par le torrent! Le centre ennemi était ouvert! La victoire était à nous!












Il ne nous suffisait plus que d'une poussée pour enfoncer un coin dans les lignes bleues.









Mais il n'y eut aucune panique, aucun flottement chez l'ennemi, qui rangea aussitôt ses réserves en carré.











Avant que nous n'ayons pu deviner d'où le Prussien tirait une telle confiance, toute la ligne française se retourna soudain. Une explosion formidable venait de retentir, suivie d'un craquement terrible!
Je tombai de cheval.




Que s'était-il passé? Remonté sur ma jument, je pus braquer ma lunette sur la colonne de fumée sur ma droite. C'était le pont de Thuin qui venait de sauter. Un sabotage? Non. Sans doute inspirés par l'exemple des Autrichiens à Essling, les officiers du génie prussiens avaient laissé dériver des bateaux remplis d'explosifs sur la Sambre. Grossie par l'orage de la veille, celle-ci avait fini par charrier l'une des barques-bombes sur le coude où se trouve le pont de Thuin.




 
Cela signifiait que la moitié de notre corps de bataille et toute notre artillerie, qui avait combattu depuis le début du jour, devait maintenant se battre dos à la rivière, avec des munitions se raréfiant. Oserez-vous douter de cette fatalité qui nous poursuivit?



Mais un autre spectacle nous serra le cœur: ce fut de voir déboucher sur notre droite de nouvelles colonnes ennemies. Cette fois, plus de doute, ce n'était pas que le corps de Von Zieten que nous avions en face.




Son collègue von Pirch l'avait rejoint, nous donnant un corps de plus sur les bras!
...
 C'était un de ces moments où la Victoire balance pour savoir de quel côté elle finira par pencher...






Quand soudain nous atteignirent les sonneries de plusieurs clairons.

C'était la Division Piré! 









Elle avait été ralentie par la traversée de la forêt et des mauvais chemins. Mais rien ne pouvait l'empêcher de rallier la fête!





Son apparition sur notre droite, derrière un ennemi qui s'avançait pour nous emporter, fit l'effet du tonnerre. Mais, courageusement, les fusiliers ennemis se mirent en carré.



 
En tête se trouvait le 3e Chevau-Légers lanciers.


















Il se rangea aussitôt contre le bataillon  qui servait de flanc-garde à l'armée ennemie.











Le carré repoussa une première charge, non sans accumuler les pertes.










Une seconde charge l'annihila.










Le second régiment de cette brigade, le 4e Chevau-Légers, galopa jusqu'au centre ennemi, renversant canons et caissons.




Frappé de stupeur et n'ayant pas de cavalerie à opposer à cette trombe, l'ennemi perdit beaucoup de monde.





Quant au 7e hussards, il s'avança sur le flanc des colonnes de Von Pirch.
















Une colonne, qui n'avait pu manœuvrer, fut sabrée et s'égailla.






Von Pirch déploya alors un rideau de Uhlans en renforts. Mais ceux-ci furent alors pris de flanc par le dernier régiment de la division Piré, tandis que le 7e hussards faisait face.

Cette fois, la panique gagna les Prussiens. Tandis que les carrés se dressaient comme des môles de résistance, les routes vers la forêt commençaient à s'encombrer de canons et de caissons en retraite.






 

 
Aussitôt, nos batteries lâchèrent leurs derniers boulets sur les carrés ennemis.












La bataille de Thuin était bel et bien finie. La Victoire, qui n'avait cessé de disputer ses faveurs, était finalement à nous!






Mais combien cette campagne promettait d'être dure, si le seul passage de la Sambre, aux portes mêmes de la France, s'avérait si difficile!







































Remerciements à tous les reconstitueurs de Waterloo, Montmirail ou Leipzig, 
ainsi qu'au maître Patrice Courcelle.