samedi 1 novembre 2014

Le matin du 15 Juin 1815, premier contact sur la Sambre (BLACK POWDER)



Puisque vous me demandez de vous raconter la bataille de Mont Saint-Jean, je le ferai quoi qu’il m’en coûte, car c’est là un souvenir encore douloureux à mon cœur de patriote. Aussi, je vous dirai que, dès le début, la FATALITE nous poursuivit. Il était écrit que tout, dans cette campagne, devrait se faire à l’envers du bon sens, et que la plupart de nos chefs s’y conduiraient en conscrits. Jusqu’à l’Empereur lui-même, mal secondé par ses principaux lieutenants, qui paya au prix fort ses négligences. 

Puisque vous me sollicitez, vous me permettrez de vous confier d’abord quelle sera ma prétention en vous narrant ce récit. Pour entreprendre l’histoire d’une campagne, il faut y avoir été acteur ; il faut avoir senti l’odeur âcre de la poudre ; il faut avoir passé par toutes les émotions du combat à l’arme blanche, comme par celle de l’immobilité sous le feu des batteries ennemies ; il faut enfin avoir sommeillé et pris ses repas au milieu des cadavres. Autrement, quelqu’habile que fût l’écrivain à son œuvre, il manquera toujours ce cachet que l’on ne peut contrefaire. 

 
Hors ça, j’étais à cette époque, comme vous n’êtes point sans le savoir, aide de camp du général Bachelu, qui commandait la 5e division du IIe corps du Comte Reille. 











Comme je portais beau avec mon habit à revers bleu céleste ! Je n’avais point 26 ans ; mais déjà deux campagnes. Je me promettais de ne pas finir celle-ci sans obtenir le grade de chef d'escadron, dussé-je charger seul l'ennemi! Voilà l'impétuosité de la folle jeunesse!

Tout commença le jeudi 15 juin à trois heures du matin, quand toutes les rues de Beaumont, comme tous les échos d'alentour, retentirent des sons du boute-selle et de la grenadière. Le quartier-général de la division aussitôt s'ébranle. Chacun se rend à sa compagnie, à son escadron, à sa batterie: là chacun va entendre les paroles solennelles de l'Empereur dans son ordre du jour signé de la veille:

 

« Soldats, c'est aujourd'hui l'anniversaire de Marengo et de Friedland qui décidèrent deux fois du destin de l'Europe.
Alors, comme après Austerlitz, comme après Wagram, nous fûmes trop généreux. Nous crûmes aux protestations et aux serments des Princes que nous laissâmes sur le trône.
Aujourd'hui cependant, coalisés entre eux, ils en veulent à l'indépendance et aux Droits les plus sacrés de la France. Ils ont commencé la plus injuste des agressions: marchons donc à leur rencontre! Eux et nous, ne sommes nous plus les mêmes hommes?
Soldats! A Iéna contre ces mêmes Prussiens, aujourd'hui si arrogants, vous étiez un contre deux, et à Montmirail un contre trois... Les insensés ! un moment de prospérité
les aveugle! L'oppression et l'humiliation du peuple français sont hors de leur pouvoir; s'ils entrent en France, ils y trouveront leur tombeau! 
Soldats ! nous avons des marches forcées à faire, des batailles à livrer, des périls à courir. Mais, avec de la constance, la Victoire sera à nous.
Les droits, l'honneur et le bonheur de la Patrie seront reconquis ; pour tout Français qui a du cœur, le moment est venu de vaincre ou de périr !»

La lecture de cette proclamation fut achevée sur un cri général de "Vive l'Empereur!" et de "en avant, en avant!". Un roulement se fait entendre, c'est le signal du départ et nous descendons de Beaumont pour pénétrer dans les bois qui, seuls, nous séparent des avant-postes du général prussien Zieten, à qui avait été confiée la défense des passages de la Sambre. 




Le général nous expliqua alors que le IIe corps formait l'aile gauche de l'Armée du Nord et que notre division en était la pointe. Suivis des divisions Jérôme Bonaparte et Foy, nous devions, d'ordre de l'Empereur, nous assurer avec célérité des ponts de Thuin et de Lobbes, avant de prendre par Marchienne et Gosselies la route qui va à Nivelle. Nous formerions ainsi la couverture du IIIe corps de Vandamme qui devait  surprendre Charleroi et battre le gros des Prussiens avec le IVe corps de Gérard. 



Mouches et paysans du cru nous avaient appris qu'un seul bataillon de Landwehr de Westphalie allait nous barrer la route à Thuin. Nous savions même le nom et le cantonnement du commandement de la garnison! 




Aussi, alors que la tête de colonne commençait à passer le pont, avancions-nous avec confiance, certains que nous n'aurions que des avant-postes à chasser et que le mouvement du IIIe corps de Vandamme sur notre droite forcerait l'ennemi à se replier pour n'être point coupé. 

Cependant, dès que le général arriva sur un mamelon qui surplombait la vallée de la Sambre, il scruta avec anxiété les mouvements adverses en contrebas.






Le danger n'était point tant dans une surprise que nous aurait tendu l'ennemi dans les villages. Ainsi Lobbes paraissait-il désert.








 
Mais, de l'autre côté de la vallée, les bois  dévoilaient des mouvements.











A peine masquées par les brumes printanières, se détachaient des cohortes de renforts ennemis: Uhlans, Mousquetaires,canons avec leurs trains... 





 
C'était toute une brigade prussienne qui accourait pour relever le gant et nous disputer le passage.















L'ennemi était prévenu de notre arrivée!?!
Comment un tel coup du sort était-il possible? ... Nous n'apprîmes qu'à la fin de la journée que, dans la nuit du 14 au 15 juin, le lieutenant-général comte de Bourmont, commandant la 3e division d'infanterie du IVe corps, était passé à l'ennemi, juste avant l'ouverture des hostilités. Il fut aussitôt conduit au quartier-général de von Zieten qui lui extorqua notre ordre de bataille avant de l'expédier au généralissime Blücher. Jamais une telle trahison ne fût plus blâmable! Et le sang des patriotes ne peut que bouillir au souvenir de la conduite de cet odieux général chouan, qui usurpa la confiance de l'Empereur et fut responsable de la mort de tant de ses compatriotes. Mais la raison d'Etat ne voulût-elle pas que l'Empereur, connaissant le passé royaliste de M. de Bourmont, ne lui eusse pas confié un commandement actif dans ce qui devait être la campagne décisive pour le Salut de la France? Que dure et amère est la FATALITE!

Hors ça, alors que les brumes matinales se dissipaient, nous passions les ponts.



Le 55e de Ligne à Thuin, avec la batterie divisionnaire en point d'appui sur la rive française.






Et le 72e à moins d'une demi-lieue à l'ouest, à Lobbes.













C'est justement à Lobbes que nous vîmes de près les premiers ennemis: des Uhlans de la Légion de Lützow. 

 




 

Trop pressés de nous disputer le village, ces cavaliers noirs avaient laissé derrière la Landwehr qui devait les appuyer.
















 
Nous passant sa lunette, le général, attira alors notre attention: "Les vieux Barbons de la réserve prussienne n'ont pas les jambes des conscrits! Nous les prendrons de vitesse en dispersant les cavaliers qui nous barrent le débouché hors de Lobbes!




Aussitôt, notre brave général prit la tête de la colonne du 1er bataillon du 72e et lui ordonna de se former en ligne face à l'ennemi.








   Mis en désordre par quelques salves, les Uhlans ne purent se disposer à charger, ce qui laissa le temps au 72e de se mettre en ligne et de s'avancer résolument. Les charges d'infanterie contre de la cavalerie formée furent rares dans les campagnes de l'Empire. Mais celle-ci fut possible et heureuse parce que l'ennemi, trop présomptueux, s'était avancé en désordre. Il fut promptement dispersé et on ne le revit plus de la journée.










Nous ne pûmes cependant déboucher de Lobbes, car une batterie ennemie détela et prit en enfilade la principale rue du village. Ce que voyant, nos fantassins investirent les maisons.



 

































Sur notre aile droite, nous étions également bloqués par la Landwehr ennemie barricadée dans Thuin.





Tout en faisant canonner par la batterie laissée derrière la rivière l'ennemi retranché, le colonel Monneret entraine alors le 1er bataillon du 55e dans un mouvement pour déborder le village par la droite.


 

Mais il se heurte alors à la seconde ligne ennemie, formée de mousquetaires et de tirailleurs appuyés par du canon.






















Tandis que les tirailleurs harcèlent notre colonne d'attaque...










 

 











...l'artillerie prend en enfilade le 55e, le contraignant à reculer et à aller panser ses plaies sous le couvert des vergers qui bordent Thuin.




Nous comprîmes alors que l'ennemi était bien décidé à tenir sur place, qu'il n'avait point ordre de faire retraite et qu'il ne craignait aucunement le mouvement de Vandamme censé le couper de Charleroi.






Mais ce n'est qu'après que je vis le général Bachelu pâlir et s'agiter sur sa selle. Me penchant vers la direction qu'il scrutait, je vis alors plusieurs nouvelles colonnes ennemies déboucher des bois qui bordent le nord de la vallée de la Sambre.

 
 Vers Thuin, c'étaient des longues colonnes de Landwehr, reconnaissables à leur calot.





 
Vers Lobbes, c'étaient des colonnes de lanciers aux pennons multicolores.











Le général Bachelu voyait avec accablement le plan de campagne de l'Empereur être battu en brèche sitôt la campagne commencée. Il envoya aussitôt mon camarade Delaforêt prévenir à bride abattue le Baron Reille.


Je distinguai alors le général von Zieten qui galopait pour entrainer son monde vers l'avant. Les Prussiens n'étaient point des lâches!





Nous reprîmes cependant un  peu espoir quand nous vîmes que les Prussiens se disposaient en plusieurs lignes successives face à Thuin. 






Eussent-ils alors poussé avec témérité jusqu'au village lui-même que nous aurions été repoussés et contraints à repasser le pont!






 



Dans Thuin même, le colonel Monneret regroupait le 2e bataillon du 55e pour repartir à l'assaut occuper le village.



Le second bataillon du 54e arrivait en renforts et se positionna à la jonction entre le village et le 1er bataillon du 55e dans les vergers.





Il était 10h30. Quoique que mince, notre ligne sur la rive nord de la Sambre pouvait encore tenir!


C'est à ce moment où chaque camp s'apprêtait à se lancer à la gorge de l'adversaire qu'un heureux renfort nous parvint. Le général Kellermann, comte de Valmy, lassé d'attendre derrière les embouteillages des colonnes et des caissons des divisions Jérôme et Foy, avait résolu d'emmener la brigade de cuirassiers Guiton couper à travers champs. 

Ils se présentèrent opportunément devant le pont de Lobbes à 11h.






Je ne sais comment l'expliquer, mais cette vue et le cliquetis des cuirasses et des casques électrisèrent alors toute la vallée. Nous savions tous que les lattes de ces Gros Frères pouvaient facilement venir à bout, même d'un corps ennemi tout entier, pourvu que nos cavaliers aient l'espace convenable pour charger.



Mais, en guise d'espace, nos cuirassiers étaient, il est vrai, fort serrés entre les colonnes d'infanterie qui tâchaient de défendre la tête de pont. Tant est qu'ils laissèrent du temps à l'adversaire pour se reprendre.



L'ennemi se disposa aussitôt à repousser l'éventuelle charge de nos cuirassiers: deux de ses bataillons formèrent le carré, tandis qu'une batterie à cheval se préparait à tirer enfilade sitôt que nous aurions passé le moulin qui se trouvait à la limite de Lobbes.







Les Prussiens étaient ainsi fortement positionnés: leur cavalerie et leur artillerie face à Lobbes; leur infanterie en réserve face à Thuin et des carrés au centre pour éviter toute surprise venant de nos troupes à cheval.




 
De notre côté, nous étions assurés d'avoir des renforts grâce aux divisions Jérôme et Foy.









Mais de quelle utilité seraient ces renforts, si les Prussiens nous interdisaient de déboucher au sortir des ponts? Nous risquions de perdre maintes unités en les engageant en détail dès qu'elles pourraient passer la Sambre.


Nous venions justement de ralentir le passage du côté de Thuin pour laisser passer une batterie de la Garde commandée par le Colonel Marion. D'ordre de l'Empereur, il était chargé de suivre le IIe corps et de rester en réserve. Mais, sentant quelque chose dans l'air, il avait, dès le petit matin, fait promptement marcher sa batterie et l'avait poussé vers le pont aussi vite qu'il avait pu, dès qu'il avait entendu la canonnade.
 
Ce chef de corps ne perdit pas une minute et déploya le plus de canons dans Thuin en flammes. 


Avec à-propos, il commande le tir sur une colonne d'infanterie ennemie qui défilait de notre droite vers le centre.



Pas un seul boulet ne fut perdu! La colonne ennemie fut hachée! Honneur aux Filles chéries de l'Empereur!



C'est alors que le général Bachelu se tourne vers moi et me jette avec exaltation: "Allez! Courez mon ami! Courez prévenir le général Reille! Qu'il dise bien à l'Empereur que j'ai tout le corps de Zieten sur les bras! Dites lui bien de faire converger Vandamme sur la droite de l'ennemi! C'est une armée perdue si ce mouvement réussit! Moi, je vais tenir et harceler d'ici-là. Allez, courez! Mais courez donc!". J'entendis à peine les derniers mots car déjà j'avais éperonné ma jument. Déjà je repassai le pont en repoussant les fantassins qui se pressaient en sens inverse. Mais où était donc le général Reille?






A suivre!

Remerciements aux reconstituteurs de Leipzig 2013 et Montmirail 2014, 
ainsi qu'au talentueux peintre Patrice Courcelle.