vendredi 20 décembre 2013

C'est l'histoire d'un Dollar









C'est l'histoire d'une pièce de monnaie qui a traversé l'Atlantique. C'est un Dollar US un peu abîmé aujourd'hui. Il est vrai qu'il accuse son âge: bientôt quatre-vingt-dix ans (1924). Sur son avers figure un aigle perché illuminé par des rayons lumineux. La pose du rapace est noble mais non belliqueuse, comme on peut s'y attendre en voyant le mot "Peace" au bas de la pièce. "E pluribus unum" (un seul à partir de plusieurs) complète bien entendu le haut de l'avers. Sur le revers, le profil illuminé et cheveux au vent de "Miss Liberty" domine une autre devise: "In God we trust". La pièce est lourde et volumineuse; elle fait presque 4cm de diamètre. Elle matérialise cet âge de prospérité qu'a connu l'Amérique des années vingt: une époque florissante où le pays était capable de frapper de beaux numéraires en métal de qualité. A la même époque, le franc complètement dévalué par la guerre ne valait plus grand chose et le Mark absolument rien du tout. Ce n'est pourtant pas une piécette pour payer son hot dog au coin d'une rue. Un dollar en 1924 représentait au moins l'équivalent d'une journée de salaire d'un ouvrier qualifié. C'était donc une belle pièce à conserver chez soi, plutôt qu'une monnaie pour déformer ses poches de pantalon. Je n'en dirai pas plus n'étant pas numismate.
Mais je vous raconterai l'histoire de ce Dollar ou plutôt je laisserai mon grand-père François Michel vous la raconter. Il y a vingt ans, il m'écrivit ceci.
"Youenn, je te fais don de ce Dollar. Il a une histoire. Il appartenait à un copilote de Forteresse volante abattue au cours d'un raid sur Lorient en octobre 1943.
Il lui avait été remis en guise de Fétiche par sa mère lors de l'incorporation dans l'US Air Force. Il avait été émis en 1924, année de la naissance de Richard.
J'appartenais à l'époque à Libération Nord. Je m'étais personnellement occupé de la récupération de Richard et de son hébergement, puis, sur ordre, de son convoyage à l'issue duquel il rejoignit l'Angleterre.
Dès notre première rencontre, nous avions fraternisé. Il était différent de ses compatriotes recueillis dans les mêmes circonstances et que je considérais comme de grands enfants inconscients des dangers qu'ils suscitaient.
Richard était originaire de Louisiane et baragouinait passablement notre langue. Lors de notre séparation, il tint à m'offrir ce Dollar. Je refusai prétextant que la guerre n'était pas terminée et qu'il pourrait à nouveau lui servir de porte-chance, etc. Il demeura inflexible.
J'appris au cours de l'année 1945 qu'il avait été porté disparu en février 45 au-dessus de l'Allemagne."

J'aurais aimé pouvoir demander à mon grand-père s'il se souvenait du nom de la famille de Richard pour la retrouver, mais j'ai raté l'occasion.
Aujourd'hui, je garde toujours ce Dollar sur mon bureau dans l'étui en cuir que m'a donné mon grand-père et avec le mot qu'il avait griffonné. Peut-être qu'il sert encore de porte-chance. En tout cas, il me sert à ne pas oublier.