C'est l'histoire d'une pièce de monnaie qui a traversé l'Atlantique.
C'est un Dollar US un peu abîmé aujourd'hui. Il est vrai qu'il accuse
son âge: bientôt quatre-vingt-dix ans (1924). Sur son avers figure un
aigle perché illuminé par des rayons lumineux. La pose du rapace est
noble mais non belliqueuse, comme on peut s'y attendre en voyant le mot
"Peace" au bas de la pièce. "E pluribus unum" (un seul à partir de plusieurs) complète bien entendu le
haut de l'avers. Sur le revers, le profil illuminé et cheveux au vent de
"Miss Liberty" domine une autre devise: "In God we trust". La pièce est
lourde et volumineuse; elle fait presque 4cm de diamètre. Elle
matérialise cet âge de prospérité qu'a connu l'Amérique des années
vingt: une époque florissante où le pays était capable de frapper de
beaux numéraires en métal de qualité. A la même époque, le franc
complètement dévalué par la guerre ne valait plus grand chose et le Mark
absolument rien du tout. Ce n'est pourtant pas une piécette pour payer
son hot dog au coin d'une rue. Un dollar en 1924 représentait au moins
l'équivalent d'une journée de salaire d'un ouvrier qualifié. C'était
donc une belle pièce à conserver chez soi, plutôt qu'une monnaie pour
déformer ses poches de pantalon. Je n'en dirai pas plus n'étant pas
numismate.
Mais je vous raconterai l'histoire de ce Dollar ou
plutôt je laisserai mon grand-père François Michel vous la raconter. Il y
a vingt ans, il m'écrivit ceci.
"Youenn, je te fais don de ce
Dollar. Il a une histoire. Il appartenait à un copilote de Forteresse
volante abattue au cours d'un raid sur Lorient en octobre 1943.
Il
lui avait été remis en guise de Fétiche par sa mère lors de
l'incorporation dans l'US Air Force. Il avait été émis en 1924, année de
la naissance de Richard.
J'appartenais à l'époque à Libération
Nord. Je m'étais personnellement occupé de la récupération de Richard et
de son hébergement, puis, sur ordre, de son convoyage à l'issue duquel
il rejoignit l'Angleterre.
Dès notre première rencontre, nous
avions fraternisé. Il était différent de ses compatriotes recueillis
dans les mêmes circonstances et que je considérais comme de grands
enfants inconscients des dangers qu'ils suscitaient.
Richard était
originaire de Louisiane et baragouinait passablement notre langue. Lors
de notre séparation, il tint à m'offrir ce Dollar. Je refusai
prétextant que la guerre n'était pas terminée et qu'il pourrait à
nouveau lui servir de porte-chance, etc. Il demeura inflexible.
J'appris au cours de l'année 1945 qu'il avait été porté disparu en février 45 au-dessus de l'Allemagne."
J'aurais aimé pouvoir demander à mon grand-père s'il se souvenait du nom de la famille de Richard pour la retrouver, mais j'ai raté l'occasion.
Aujourd'hui,
je garde toujours ce Dollar sur mon bureau dans l'étui en cuir que m'a
donné mon grand-père et avec le mot qu'il avait griffonné. Peut-être
qu'il sert encore de porte-chance. En tout cas, il me sert à ne pas
oublier.
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